mardi 6 août 2013

De l'accaparement des terres à la transition agricole



Avec cet article, je vous propose une petite synthèse personnelle de l'actualité de la lutte paysanne dans le monde, avec des liens divers pour continuer à s'informer et à s'engager sur un sujet de plus en plus vital pour la planète. 
Au-delà de l'expérience indienne de la Jan Satyagraha en octobre dernier, dont les résultats se mettent petit-à-petit en place, il est indispensable de comprendre à quel point les logiques d'accaparement des terres agricoles est un phénomène absolument mondial, qui nous concerne donc tous puisqu'il s'agit, in fine, de ce qu'on mange et de là où on vit. Car les systèmes de prédation économique qui les orchestrent sont sans frontières et nul pays n'en est protégé, même si les modalités d'emprise sont plus ou moins subtiles en fonction des contextes.

Le Mouvement des sans terre au Brésil est aussi emblématique que celui d'Ekta Parishad par le nombre de personnes mobilisées et l'efficacité de leurs luttes organisées contre la main mise sur les terres des multinationales. Que ce soit pour de la production intensive d'agrocarburants ou de cultures OGM, ou pour des projets industriels ou miniers mégalo qui laissent des terres mortes derrière eux. Le mouvement paysan international La Via Campesina promeut en ce moment une "Déclaration des droits des paysannes et des paysans" qui est en cours d'étude à l'ONU.

Mais il y a d'autres modalités de destruction de la paysannerie traditionnelle (c'est-à-dire d'agriculture et d'élevage sinon familiaux, au moins à échelles raisonnables et ayant évité la logique ultraproductiviste et l'endettement sans fin de l'agroindustrie). Un exemple frappant au Mexique est décrit dans le documentaire "Les déportés du libre échange" de Marie-Monique Robin (la réalisatrice de "le monde selon Monsanto" et "les moissons du futur" qui s'est fait remettre la légion d'honneur sur la ZAD de Notre-Dame des Landes en juin dernier). Elle y décrit comment les accords commerciaux de libéralisation en Amérique du Nord (ALENA) ont engendré un exode rural massif des paysans mexicains croulant soudain sous la concurrence déloyale des importations (de maïs notamment) subventionnées des Etats-Unis. On se rappelle aussi la campagne "L'Europe plume l'Afrique" dénonçant la façon dont les restes de poulets européens subventionnés par la PAC envahissaient le marché africain, ruinant ainsi leurs propres productions locales. Idem pour le lait en poudre... Dans ce type de cas, appelés "dumping économique", pas besoin de faire partir manu militari les paysans ou éleveurs de leurs terres : ils sont obligés eux-mêmes de s'exiler quand les produits étrangers à très bas coûts les empêchent de vendre leurs productions locales.
Le succès croissant de la campagne et du festival de films ALIMENTERRE, organisé par le CFSI, prouve une vraie conscientisation des citoyens sur ces questions de souveraineté alimentaire des pays et de droit à une alimentation saine pour tous, ici et là-bas, l'événement faisant des petits chaque année dans de nouveaux pays notamment d'Europe et d'Afrique.
Opération d'escorte civile de vignerons palestiniens sur leur terre, menacée par la colonie (en arrière plan) - http://rexistance.blogspot.com


Evidemment, ne pas oublier aussi que des des zones de guerre sont directement liées à des problématiques d'accaparement des terres. L'intervention militaire française au Mali ne peut pas être décryptée sans considérer la présence des mines d'extraction d'uranium (Areva) dans cette région d'Afrique par exemple.
Et qu'est-ce que la colonisation israélienne en Cisjordanie sinon le vol pur et simple de terres palestiniennes pour l'entreprise sioniste de construction de villes et plantations coloniales en violation totale du droit international ? La dimension géopolitique et idéologique du colonialisme israélien est indéniable, et sans doute primordiale, mais elle s'explique d'autant plus quand on connaît les ressources en eau (détournées) de la vallée du Jourdain ou en gaz de la mer gazaouie. Et ici comme ailleurs, ce sont les mêmes multinationales qui participent à la vendetta (Veolia, Alstom, Orange...) Concrètement, les paysans palestiniens ont de plus en plus de difficultés à cultiver leurs vignes et oliveraies, à les irriguer (l'eau est détournée par les colons) à y avoir même accès, à écouler leurs marchandises au travers des douanes israéliennes, et, tout simplement, à garder ces terres qui se réduisent comme peau de chagrin chaque jour. Chaque jour.

En Espagne, la "crise" a occasionné des mouvements citoyens et d'ouvriers agricoles de récupération de terres abandonnées à la spéculation, comme la ferme de Somonte de 400 ha en Andalousie.
Ces résistances paysannes ont la caractéristique de promouvoir des pratiques agroécologiques soutenables qui, pour s'affranchir de toute dépendance aux intrants chimiques, pesticides et OGM (et donc aux banques) et garantir une vraie qualité alimentaire, se nourrissent à la fois de techniques traditionnelles et des nouvelles connaissances scientifiques (sur la microbiologie des sols par exemple).



En France aussi, tout cela est d'actualité. Le Collectif des paysans sans terre en France vient d'être créé afin de soulever le problème des agriculteurs et éleveurs qui souhaitent trouver des terres pour travailler, celles-ci étant soit rachetées par des exploitations plus grandes pour faire toujours plus d'intensif, soit sacrifiées à quelque projet de construction d'un centre commercial ou autre bétonnage intensif (voir l'exemple de Mickaël Hardy). Tous les 7 ans, en France, la surface d'un département de terres agricoles se trouve étouffé sous le bitume et le ciment.
La lutte contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui a rassemblé quelques dizaines de milliers de sympathisants ce week-end lors d'un Festival bon enfant, musical et dans la biodiversité militante, est devenue un des emblèmes à l'échelle mondiale de la lutte contre les "grands projets inutiles imposés" (les GPII). Sont ainsi désignés tous les projets d'infrastructures (centres commerciaux, barrages gigantesques, lignes à grandes vitesse, centrale nucléaire...) imposés aux habitants d'un territoire donné, et qui bénéficient en réalité surtout à l'entreprise exploitante (Vinci en l'occurrence pour NDDL) et aux politiciens concernés dont les conflits d'intérêt sont pourtant toujours avérés. Voir la cartographie de lemonde.fr sur ces grands projets en France.

Envol de lanternes lucioles à ND des Landes samedi 3 août, manifestation poétique contre l'aéroport

En définitive, l'accaparemment des terres agricoles n'est plus simplement une question de solidarité internationale, mais de vision du monde à venir. Il y a une logique villageoise à recréer, un espace prioritaire où les gens vivent et font cohabiter des activités (sous forme salariée ou pas) leur permettant de se nourrir, de se loger, de se déplacer avec des produits et des énergies au maximum locaux et autogérés. Les dépendances nationales ou internationales sont inévitables, mais en subsidiarité, là où on ne pourra pas faire autrement.
La décennie 2000 a été celle de l'émergence d'alternatives en ce sens. La décennie 2010 met toutes ces intiatives en cohérence pour proposer un nouveau système, qualifié de "transition" (agricole, alimentaire, énergétique, démocratique...) tel le Réseau des villes en transition.Un autre collectif est né récemment, le collectif pour une transition citoyenne pour proposer une série d'engagements complémentaires pour impliquer chaque individu et chaque territoire dans une logique de changement systémique, comme les Colibris, créé par Pierre Rabhi pour capitaliser les expériences citoyennes à travers un grand plan de transformations collectives, ou Terre de liens qui propose aux citoyens de placer leur argent dans des projets paysans ("et si vous faisiez pousser des fermes").

A l'aube de la campagne électorale municipale, c'est le moment de demander aux futurs élus des campagnes de s'engager pour une vie plus autonome des territoires, moins dépendante des grandes surfaces, de l'énergie nucléaire et du pétrole et des exportations des fruits de l'exploitation du monde entier... Une vie reposant davantage sur les ressources propres de la nature, le soin porté à l'environnement, les savoir-faire traditionnels et innovations des habitants, la biodiversité et la complémentarité des espèces végétales, animales et humaine, la coopération collective et la "sobriété heureuse". Chiche !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire