La
famille Campana prend le large vers Bombai ; la 2e quinzaine du voyage
organisé par Gandhi international se termine donc maintenant et je
continue ma route toute seule (enfin, pour autant que l'on puisse
être seule en Inde !). En l'occurrence, je reste quelques jours avec
Birendra et son équipe de NSVK qui m'accueillent comme une invitée,
alors que je me suis un peu incrustée il faut le bien dire.
J'en
profite pour étudier un peu la situation sur place, de façon
plutôt théorique - vu que la pluie dehors empêche hélas encore
toute expédition - mais non moins pertinente car elle me permet
aussi de vrais temps d'échanges intéressants avec Birendra. Comme
il est déjà venu en France, nous parlons de nos découvertes
interculturelles (notamment culinaires, ce qui est une vraie question
quand un vrai végétarien débarque en France) et aussi, forcément,
de partenariats ! Il a vraiment à cœur de faire mieux
connaître dans le monde, et en particulier en Europe, la situation
que vivent les peuples du Jharkhand, particulièrement paroxystique
par endroits.
J'ai
parlé dans le précédent article du problème de l'accaparement des
terres par les compagnies pour l'exploitation des ressources
naturelles : pour vous donner une idée, rien que dans le
Jharkhand, ce ne sont pas moins de 25 000 hectares de terres
agricoles qui sont mobilisés pour ces mines de charbon, or,
uranium, et 20 000 ha pour la construction de barrages
électriques qui verront certains villages littéralement engloutis
sous les eaux. On estime à 6 millions le nombre de personnes
déplacées rien que dans cet Etat et 2 millions encore à venir
(imaginez-vous, c'est la population de toute la région parisienne
!).
Autre
exemple : les trafics de jeunes filles. Celles-ci disparaissent dans
les réseaux sordides de la prostitution des grandes villes après
que des mafieux les ont achetées à des familles en leur
promettant un boulot de domestique (pour 40 000 roupies, soit
570 €). Ou alors, elles sont tout simplement enlevées. Ainsi dans un
seul village, l'ONG comptabilisait 22 disparues. Son travail consiste
surtout à faire de l'information pour prévenir ce type de trafic
et dénoncer certains cas extrêmes comme lorsqu'un ambassadeur est
directement mouillé. On pourrait aussi parler des trafics
d'organes... Ces mafias s'appuient sur la situation politique du
Jharkhand où les Naxalites se sont fortement implantés (les zones
de forêts leur sont favorables) et, comme on nous l'avait déjà
expliqué dans le Maharashtra, la plupart ont vite perdu leurs idéaux
sociaux, aussi fondés et révolutionnaires soient-ils, pour se
pervertir en trafiquants en tous genres. Dans le quotidien anglais
que j'ai le temps d'éplucher, il y a chaque jour au moins deux
articles relatifs aux derniers crimes des « Maoïstes »,
aussi nommés « les Rouges ».
J'imagine que la réalité
est peut-être parfois plus complexe que ce que la voix officielle
semble vouloir faire croire, car ces guérilleros font bien le jeu de
la police et de l'armée indiennes, dont on connaît le degré de
corruption. Mais cela ne donne pas froid aux yeux à NSVK. Birendra
m'explique que lui et son organisation essayent de discuter avec les
responsables politiques des Naxalites, les anciens, ceux qui gardent
un semblant d'idéologie politique, pour les convaincre du recours à
d'autres types de luttes (certaines personnalités charismatiques
gandhiennes y arrivent parfois). Mais comme leurs commandants
changent tous les deux ans et qu'ils sont donc largement
« mafiosés », c'est un travail sans fin. Au dernier
changement, les membres de NSVK se trouvaient directement menacés par le nouveau
commandant, mais c'est la population locale qui les a défendus.
Birendra me parle aussi du cas d'une religieuse, chrétienne, qui
s'était fait fort d'aller elle-même négocier avec les Naxalites,
soi-disant au nom d'un village. Mais les villageois n'ont pas
apprécié l'initiative et les concessions faites : ils l'ont
tuée !
Je
parcours leur base de photos, très impressionnante, qui me permet de
voir « le terrain » derrière l'ordinateur faute de
pouvoir y mettre les pieds concrètement. Je suis marquée par
l'importance donnée par l'ONG à la formation et aux réunions
publiques de villages. C'est vraiment cela qui permettra sur le long
terme d'autonomiser ces populations pour gérer leurs problèmes.
Même si la distribution de vêtements ou d'aide alimentaire est
encore indispensable à ce stade. L'ONG est majoritairement soutenue
par le réseau Caritas indien (ONG internationale catholique) et un
programme de développement gouvernemental. Je promets d'aider
Birendra sur sa communication, notamment en direction des réseaux
français, et pourquoi pas organiser dans quelques mois une tournée
en France avec les différents réseaux de solidarité internationale
et ceux qui luttent contre le droit à la terre en France.
Donc appel à personnes ou organisations intéressées !
Le champ
d'expérience de NSVK, comme celui d'Ekta Parishad dont il est le
représentant au Jharkhand, est malheureusement très large :
Birendra insiste sur les thèmes de l'accaparement des terres et des
déplacements forcés de populations, de l'éducation, notamment des
filles, et de la formation et l'« empowerment » des
populations, en particulier des femmes. Mais aussi la déculturation
des tribaux et les trafics mafieux, l'agriculture traditionnelle et
biologique (dont les techniques d'irrigation) et ce qui va avec, les
problèmes d'alimentation et évidemment toutes les
problématiques de santé, comme la mortalité infantile, traitées
en combinant les médecines ayurvédiques, homéopathiques et
allopathiques. L'ONG cherche aussi des volontaires pour quelques mois, disponibles pour donner un coup de main sur le terrain mais surtout sur des travaux de communication et diffusion d'information à l'étranger. Hébergement et couvert fournis en échange.
Parcourir
le journal anglophone chaque jour me permet de toucher du doigt
d'autres réalités indiennes : des faits divers en veux-tu en
voilà, des attaques d'éléphants, des mesures publiques contre la
dengue et la malaria, des détournements de trains... un article qui
vante la bonne gestion des ordures en Suède (!) ou plusieurs
concernant les désastres de la junk food qui ferait qu'1 Indien sur
3 serait en surpoids et qui avancerait la puberté des jeunes filles
de façon alarmante. J'aime ces petites pensées spirituelles en encart du journal, comme ce jour :
"Tu es le centre du monde. C'est le monde dans lequel tu vis. Maintenant, comment changeras-tu le monde ? En te changeant toi-même." Krishnamurti
"En tant qu'êtres humains, notre grandeur repose, non tant en étant capable de refaire le monde - ça, c'est le mythe de l'ère du nucléaire - qu'en étant capables de nous refaire nous-mêmes." Gandhi
"Tout le monde veut se transformer, mais personne ne veut changer." Frederica Mathews-Green
"Ne crois rien, peu importe où tu l'as lu ou qui te l'a dit, même si c'est moi qui te l'ai dit, tant que ça ne s'accorde pas avec ta propre raison et ton propre bon sens." Gautama Bouddah
J'en
ai un peu marre de ne communiquer qu'avec des hommes ici. C'est que
les femmes sont assez peu visibles (aucune ne travaille à NSVK par
exemple) ou alors elles ne parlent en général pas du tout anglais.
On échange alors quelques petits mots en hindi ou nous contentons de
quelques mimiques, mais elles sont en général très timides et ne
cherchent pas plus que cela à échanger. Cela m'avait donné la même
impression en Palestine l'an dernier. Cette gêne est due à la fois
à une timidité devant l'étrangère que je suis, à un complexe de
ne pas parler anglais et pour certaines je pense au fait qu'elles
n'ont tout simplement pas l'habitude de s'exprimer en dehors du
cercle des proches. En revanche, avec les enfants la communication se
décoince beaucoup plus facilement ; j'ai mes petits secrets pour
cela ! Et je passe donc de longs moments à m'amuser avec les
petits voisins du dessous.
Je passe ma dernière soirée chez Birendra qui m'invite à dîner. Il
rigole quand je lui demande s'il a quelques fois des jours de repos.
« Et ta famille ? » « C'est qu'il n'y a pas
qu'une femme et deux enfants, mais plein d'autres gens dans le
Jharkhand, dont je dois m'occuper. » OK, la vocation ça ne se
discute pas.
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