Le
voyage reprend une tournure plus sociale et politique, car nous voici
en direction d'un petit village dans le Jharkhand, un de ces États
inconnus les plus pauvres de l'Inde où sont cumulés, comme un jeu de domino, de nombreux problèmes : corruption et guérillas, accaparement des terres, déplacements forcés de populations, destruction des cultures
indigènes, trafics en tous genres et donc globalement de graves problèmes sociaux et économiques et donc tout simplement des questions de survie.
Justement, c'est là que nous avons rendez-vous
avec les représentants locaux d'Ekta Parishad, le réseau
organisateur de la marche Jan Satyagraha. Plus exactement, il s'agit
des représentants de l'organisation membre d'Ekta Parishad dans
l'Etat du Jharkhand, Naya Sawera Vikas Kendra (NSVK), ou New Morning
Development Center. Le petit village où nous les retrouvons, Tanda,
est un des lieux de leurs actions ; ils y construisent notamment en ce
moment une école parrainée par une association française créée
par Joseph.
C'est
un des villages de la tribu des Bihor (littéralement « tribu
des héros »). Le Jharkhand est en effet un État encore couvert de
forêts il y a quelques décennies seulement, et habité par
plusieurs tribus nomades vivant de chasse et de cueillette. Ce sont
sans doute ces populations aujourd'hui en Inde qui payent le prix le
plus fort de la mondialisation, de la corruption institutionnalisée
et de la course au fric de façon générale. Le principal ennemi, ce
sont ces entreprises qui, avec la complicité du gouvernement,
viennent exploiter les sols et sous-sols et détruire au passage
arbres, habitats, faune et flore... et cultures locales. Quand elles
ont suffisamment épuisé les ressources en charbon, uranium (Areva
est là-bas) et autres minerais, elles laissent derrière elles
d'immenses terrains vagues et une terre au mieux épuisée, au pire
complètement polluée. Il s'ensuit pour les populations qui vivaient
ici, déplacées de force par centaines, un vrai déracinement qui
les amène à devoir s'adapter, comme nous l'avons déjà vu à
Hemalkasa, notamment en essayant de se sédentariser et développer
une agriculture vivrière sur le bout de terre qu'elles pourront
arracher au gouvernement. Mais ce n'est pas si facile, beaucoup de
tribaux partent travailler dans des exploitations de thé en Assam,
des familles et des villages entiers sont déstructurés.
L'alcoolisme est un autre grand fléau qui accompagne cette
destructuration, ce qui handicape notamment fortement l'éducation
des enfants, ceux-ci se retrouvant souvent livrés à eux-mêmes,
d'autant que les parents ont peu à leur donner à manger.
Sur
la place du village où nous sommes accueillis avec les représentants
de NSVK, ces enfants sont assis aux premiers rangs, avec le chef du
village, le maître et quelques autres hommes plus en retrait. Les
femmes sont également en retrait. Les jeunes garçons sont partis
travailloter sur les routes. Quant aux adolescentes, dès 13-14 ans,
elles sont mariées.
Le représentant local de NVSK (j'ai oublié son
prénom) joue avec les enfants et leur donne la parole, un par un,
pour les faire se présenter. Ce n'est pas dans la tradition locale
de valoriser autant les personnes, et encore moins les enfants, mais
cela semble faire partie de la pédagogie de l'ONG pour donner de la
valeur à chaque individu, les aider à s'exprimer et, dans l'avenir,
les responsabiliser pour essayer de se sortir de leur situation et de
sauver leur peuple et leur culture si possible. C'est pourquoi ce
projet d'école est important : au-delà de la construction
matérielle, l'avenir que ce projet dessine pour la tribu est
essentiel. L'idée de NVSK est de créer une sorte d'internat pour
les orphelins et les enfants dont les parents ne peuvent pas
s'occuper, en les éduquant, leur apprenant à parler et écrire leur
langue locale, mais aussi l'hindi ; en les nourrissant aussi. Et comme
toute école d'inspiration gandhienne, la valorisation d'activités
manuelles qui permettront au village de subsister un minimum. Ici,
dénoncer le travail des enfants n'a pas de sens ; la priorité est
d'abord donnée à la subsistance des familles, avec un minimum de
scolarité. Mais que peut-on apprendre le ventre vide ?
Car il
s'agit bien de ça. Dans la salle où nous sommes réunis pour
discuter avec les gens du village et et les gens de NVSK, un homme se
lève pour parler. Ce qu'il dit doit être traduit trois fois :
de sa langue locale à l'hindi, puis par quelqu'un d'autre de l'hindi
à l'anglais, puis je traduis de l'anglais au français. Mais ce
qu'il dit est simple : « Nous voulons manger ».
Les
Bihor n'ont plus que deux activités actuellement. En fait, plus
qu'une seule car désormais la chasse est interdite (déforestation =
raréfaction de la faune = plan de conservation des espèces). Ils
récupèrent des sacs en plastique par ci par là et font avec des
cordes type macramé qu'ils vendent là où ils peuvent. En fait, ils
ne les vendent même pas ; ils les troquent contre du riz ou autre
denrée élémentaire.
Heureusement, ils n'ont pas encore tout oublié
de leurs savoir-faire notamment en matière de médecine
traditionnelle qui soigne encore pour peu cher la plupart de leurs
problèmes de santé... mais pas la faim !
La discussion entre Birendra, le secrétaire de NSVK, et Louis pour Gandhi international, concernant leur partenariat possible, porte sur la part d'initiative laissée aux villageois eux-mêmes. NVSK, tout comme Ekta Parishad, travaille à l'"empowerment" des peuples, leur capacité à s'organiser, à se former et à développer de façon autonome leurs propres luttes et activités. Cependant, Birendra semble nous expliquer que, si les villageois ici se réunissent régulièrement avec l'ONG, que le chef du village a toute sa place, il est difficile pour cette tribu déracinée (et le terme est plus que métaphorique pour ces Adivasis, "peuples des forêts") de pouvoir se projeter dans un système qu'ils ne connaissent pas bien et qui les manipule le plus souvent, surtout avec le degré d'affaiblissement et de vulnérabilité qu'ils ont atteint. En attendant leur autonomie complète (si les dieux le veulent), NSVK agit donc un peu comme un tuteur et insiste sur la nécessité de soutenir leurs projets dans le cadre de la solidarité internationale. Les besoins concrets du projet portent sur la construction de murets de protection autour de l'école, de plantation d'arbres et d'achat de matériels scolaires.
En repartant du village avec Birendra, la route est bloquée. Il y a eu un accident entre un rickshaw et un tracteur. Quatre femmes sont mortes. Il se passe alors ce qu'il se passe habituellement dans ce cas : les proches des victimes bloquent la route pour obtenir réparation sur le champ. Soit en tabassant, parfois à mort, l'auteur de l'accident, soit en demandant réparation devant l'administration. Il nous faut donc attendre que celle-ci arrive sur place et que les tractations aient lieu. Finalement, on prend une petite déviation mais là une autre surprise : des jeunes barrent la route. Entre 12 et 30 ans, certains ont des bâtons et il faut leur donner la pièce pour qu'ils nous laissent passer. La discussion se passe semble-t-il cordialement et Birendra semble même en rire. Mais pour nous, c'est du racket ! Difficile de comprendre ce qui vient de se passer...
Nous
sommes hébergés dans les bureaux de NVSK à Hazaribagh.
Malheureusement, dès le lendemain, il pleut sans cesse. Il paraît
que c'est directement lié à l'ouragan Sandy qui touche les
États-Unis et Cuba. Décidément, le monde semble parfois bien
petit... Nous ne pourrons donc pas visiter d'autres lieux de travail
de l'ONG et nous contentons d'une petite balade au marché et au
bord d'un lac. Et s'il nous faut pour cela monter à 3 sur une moto, s'asseoir en amazone et slalomer entre les trous d'eau, les dos
d'âne, les flancs des vaches, camions et tuc tucs, eh bien allons-y alors !
Cou-cou Magali!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ton blog, et j'en vois vraiment l'intérêt. Une sorte de voyage par procuration, qui permet de se rendre compte un peu de ce qui se passe dans le vaste monde. J'aime bien ta façon de décrire les choses et d'y mettre tes interrogations et crispations ou et aussi tes enthousiasmes.
Martine