mercredi 24 octobre 2012

Bénares, ville au feu et à l'eau sacrés

Voici quelques jours que nous sommes dans la ville extraordinaire de Varanasi, autrement appelée Bénares, une des plus anciennes villes du monde et la ville la plus sainte de l'hindouisme, traversée par le Gange, sur le bord duquel des morts brûlent à longueur de temps.
Des temples partout et pleins de petits autels dans tous les coins de rues, dans des niches, dans les boutiques, sur n'importe quelle marche de ses venelles étroites. Des statues aux visages blancs ou noirs, parées de drapés rouges et brillants. Des formes informes en plastique orange, avec deux yeux encastrés. Des lingams, ces sortes de petits bassins de pierre au centre duquel s'érige un appendice arrosé de fleurs, d'eau ou de lait. Des bougies en beurre clarifié, des colliers de fleurs fraîches orange un peu partout, jusqu'au cou des vaches. Sur les murs, les trottoirs, les marches, la surenchère du sacré sur les ordures, du brillant sur la poussière. Entre les deux, attention où l'on met les pieds. Ici, ce sont les vaches, les chèvres et les cochons qui se chargent du nettoyage de la rue au gré de leurs pérégrinations nonchalantes. La purification, quant à elle, se fait surtout en répandant par-dessus tout cela les effluves sacrés de l'encens, des fleurs ou du souffle des bougies (Après tout, on a des chaussures !). Et par l'eau du Gange évidemment.

Cela ressemble un peu à l'omniprésence du religieux populaire dans les bidonvilles de Mexico, où des chapelles dédiées à la Guadaloupe se rencontrent à tout instant, bardées de fanfreluches, de lumières clinquantes, de brillants en toc et d'images surannées. Comme pour ne jamais pouvoir oublier la présence de l'Omniscient dans un quotidien de douleurs. Plus encore ici, on croise partout des sadhous, ces ascètes hirsutes à peine vêtus d'un pagne orange, et surtout sur les bords du Gange. Ils aménagent des petits autels un peu n'importe où, très entretenus, et vivent de l'aumône. Certains récitent des textes ou des mantras. D'autres semblent ne jamais quitter leur posture de méditation en tailleur (et, de fait, certains ne la quittent vraiment jamais). En extase permanente, parfois bien aidée il est vrai par les pipes de ganja. D'autres sont étonnamment communicatifs, joyeux, voire taquins. L'un d'eux nous interpelle en français à chaque fois qu'on le croise. Nous parlons avec un sadhou de 28 ans seulement. Nous en croisons même un, charmeur de serpent avec un cobra sortant d'un pot sur ses genoux (oui oui comme dans les livres d'images). Brrr ! Mais celui-ci n'est pas un vrai sadhou, plutôt un amuseur public qui a dû casser les dents de son naja pour l'apprivoiser. Bref, il y a de tout dans les sadhous, mais avec ces vœux communs de renoncement aux conforts du monde, qui suscitent à la fois fascination, perplexité, envie et scepticisme.
Le Gange à tout faire
Et le Gange, fleuve sacré où les pèlerins viennent pour un bain rituel depuis les ghâts, ces quais de marches où se passent tellement de choses. Tout confondu : bains des sadhous et autres habitants de la ville, ablutions rituelles des pèlerins (qui boivent l'eau sans problèmes), mais aussi des buffles. C'est bien sûr le lavoir municipal, ce qui donne lieu à de belles expositions de tissus étalés sur les quais (et ce sont surtout les hommes qui font la lessive ici !). Lieu de jeux pour les enfants, au criquet par exemple. Lieu de ventes de colliers le jour, de drogues en tous genres la nuit (Varanasi est aussi un repère de hippies qui laissent leurs traces artistiques un peu partout sur les murs). Les ghâts du Gange sont aussi un lieu de balade pour nous et, évidemment, lieu de cérémonies religieuses, comme la Puja chaque soir et chaque matin. Un rituel du feu et de l'eau où de jeunes brahmanes manipulent successivement de l'encens, du feu, des pétales de fleurs et des palmes pour arroser d'eau. De petites bougies sont offertes au Gange par les pèlerins, dans de petites écuelles en feuille ou en argile avec des fleurs. On voit leurs étincelles suivre le flux du fleuve, parmi les bateaux de pèlerins et touristes venus assister au spectacle. Le Gange est aussi le lieu où sont jetées rituellement les statues de la déesse Durga à la fin de son festival dédié, peu importe qu'elles soient en argile ou en plastique, et tout un tas d'objets symboliques avec. Mais le Gange est sacré et il nettoie tout paraît-il, donc pourquoi s'en faire ?
La Jérusalem hindoue
Varanasi me fait penser à la vieille ville de Jérusalem. Cet éclectisme religieux, avec des temples hindous aux divinités et influences variées, mais aussi des temples bouddhistes, des mosquées et des églises. Tout cela imbriqué au plus près dans des ruelles sans âge, au milieu d'échoppes de souk qui font la vie de la ville. Ici comme à Jérusalem, une présence policière importante pour des tensions inter-communautaires parfois assez palpables. Le Golden Temple est le lieu le plus sacré de l'hindouisme, qui préserve en son sein le lingam qui a pu être sauvé au moment de l'invasion de la ville par les Moghols qui ont supprimé de la ville toute trace religieuse non musulmane. Par chance, nous pouvons y entrer :
Ne pas chercher à comprendre, suivre le flot des pèlerins. Comme pour accéder à la Mosquée Al Aqsa à Jérusalem, la ruelle d'accès est filtrée par un checkpoint : aucun objet électronique ou métallique, mais aucun objet en cuir non plus, n'est autorisé (vaches sacrées). Nous rentrons et on me propose avec insistance d'acheter une corbeille d'offrandes. Les fleurs sont belles, je la prends. Une femme me demande par trois fois si je suis hindoue. Trois fois, je lui dis non. L'accès au temple lui-même ne se fait pas sans laisser les coordonnées complètes de notre passeport au second checkpoint. Et la fouille s'il vous plaît. Il faut suivre une file de pèlerins, hommes et femmes confondus, dans un petit circuit qui nous fait passer devant plusieurs lingams ou statues de divinités et sous des cloches que les gens sonnent en passant. Certains récitent des mantras. OK ! je veux bien offrir les fleurs, par contre pas possible pour moi de m'incliner devant une statue dont je ne sais rien. Un policier me demande trois fois de venir, trois fois je lui dis calmement non de la tête. Plus loin, un prêtre me trace un point rouge sur le front et m'enroule un bracelet jaune et orange autour du poignet. 
Cela me fait vraiment penser au Saint-Sépulcre à Jérusalem, lieu du tombeau de Jésus, et je suppose que cela a aussi quelque chose de la Kaaba à la Mecque. Ces lieux sont chacun des nœuds, des centres de leurs religions. La même concentration de pèlerins avançant dans le même sens les uns derrière les autres. Comme au creux d'un cœur, là où la foi des pèlerins est offerte, purifiée, recyclée, là où le rythme de la vie est donné. Pour nous, c'est assez oppressant, surtout face à ce sacré hindou si hermétique.
La ville du feu qui ne s'éteint jamais
Mais Varanasi, c'est aussi le lieu où tous les hindous souhaitent mourir, car s'ils meurent et sont incinérés ici, la « délivrance » de leur âme leur est promise par la fin du cycle infernal des réincarnations. Des gens amènent donc leurs vieillards mourir ici. Les crémations ont lieu à ciel ouvert sur certains ghâts du Gange, dont celui juste sous la terrasse de notre hôtel. Toute la journée des corps sont brûlés au bois à même les marches, en présence des familles, des passants et des vaches, chiens, singes et autres animaux libres d'aller où ils veulent. Il faut slalomer entre ces foyers pour continuer sa route. Après avoir trempé le corps dans le Gange, le crâne des morts est frappé par le fils aîné pour libérer son âme que le brasier emporte. 350kg de bois et 3h sont nécessaires pour incinérer totalement le corps, avant que ses cendres soient offertes au Gange. Et si la famille n'a pas assez d'argent pour acheter autant de bois, les restes du corps seront jetés aussi à l'eau. Ainsi que le corps entier des nouveaux-nés, femmes enceintes ou personnes décédées de piqûres de cobra qui n'ont pas à être incinérés. 
Vanarasi est aussi appelée « la ville des feux qui ne s'éteignent pas » à cause de ces crémations continues depuis, paraît-il, des siècles. C'est étonnant la façon dont on peut s'adapter rapidement à cette autre culture de la mort. Je n'ai jamais croisé autant de cadavres de ma vie qu'en ces deux jours ici. Ils sont portés par les familles sur des brancards, enveloppés dans des tissus dorés pour les vieillards, rouges pour les femmes ou blancs pour les hommes, tissus dont les restes non calcinés brillent sur les marches du ghât.
Entre un brasier et un immense tas de bois, je contourne une vache qui vient juste de vêler là, sur une marche. Ici, hommes et animaux, naissance et mort, feu et eau, crasse et sacré se côtoient naturellement, synthèse parfaite de la Vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire