mardi 23 octobre 2012

Gandhi, d'actualité ?

Il est tentant de penser, en s'immergeant dans ce grand pays en développement largement soumis aux logiques industrielles et financières des multinationales, que l'idéal de Gandhi et de tous ceux ayant eu la même veine d'inspiration n'est plus qu'un mince îlot d'utopie dans un océan de capitaux, de devises et de corruption. Et que nous serions, nous, doux rêveurs occidentaux partis en Inde en quête d'une alternative exotique qui n'existerait plus que dans les livres d'histoires de la philosophie indienne.

Et pourtant, dans le journal d'aujourd'hui Hindustan Times, deux articles font référence à Gandhi. Le premier est un éditorial concernant le Prix Nobel de la Paix attribué à l'Union européenne. L'auteur y dénonce l'incohérence de ce Prix au vu des répressions policières actuelles en Espagne et en Grèce face à la crise et de l'hostilité croissante des Britanniques vis à vis de l'Union*, et revient sur la pertinence des attributions de ce Prix dans l'Histoire. L'année de l'assassinat de Gandhi, il avait été proposé de le lui attribuer, mais cela avait été écarté pour deux raisons : officiellement, on ne peut pas attribuer un Prix Nobel de la Paix à titre posthume (pourtant cela sera fait quelques années plus tard à l'égard de Dag Hammarskjold en 1961). Officieusement, le comité d'attribution a suivi les avis de ceux qui lui ont fait porter la responsabilité de la partition de l'Inde entre hindous et musulmans (création du Pakistan). Bref, on sent à travers cet article un attachement, peut-être patriotique, mais peut-être aussi philosophique, au Mahatma qui marque sa présence encore aujourd'hui dans l'actualité indienne, peut-être comme Jean Jaurès ressort de temps en temps en France quand le gouvernement a besoin de s'appuyer sur des références nationales pour affirmer certaines valeurs (à tort ou à travers).
Autre article, plus concret, est celui intitulé « le Bihar va faire revivre les écoles gandhiennes ». Le Bihar est un des États indiens qui vient d'initier un processus de remise en fonction de 122 écoles « modèles » sur les 391 écoles historiquement fondées selon le principe gandhien d'une éducation holistique pour chaque enfant. Ces écoles visaient notamment à valoriser les savoir-faire manuels comme le tissage, la charpenterie ou l'agriculture. Alors que les systèmes scolaires conventionnels mis en place avec la colonisation britannique insistaient sur l'apprentissage de la lecture et du calcul, Gandhi voulait une « nouvelle éducation » (Nai Talim) pour créer des individus ingénieux et intelligents, capables de travailler avec leurs mains.
En conclusion sur l'héritage gandhien : Gandhi n'est pas dans le courant « mainstream » de la mondialisation, c'est le moins qu'on puisse dire, c'est même une des figures les plus aux antipodes de tout le système générateur des maux modernes : course à la productivité, folie des grandeurs multinationales, dépendance des plus pauvres vis à vis des plus riches... Et pourtant son nom résonne et, plus encore, les modes d'actions qu'il a prônés - non-violence active, boycott, marche, désobéissance civile, vie communautaire auto-suffisante - sont toujours bien vivants et toujours en renouvellement dans les populations en résistance, depuis les Indignés jusqu'aux sans-terre d'Inde, du Brésil ou d'ailleurs, des « décroissants » aux militants anticolonialistes, de la Nouvelle communauté de l'Arche aux ashrams d'Anandwan...
Je conseille un tout petit livret disponible partout, dans la même collection qu'Indignez-vous de Stéphane Hessel, intitulé « le courage de la non-violence » (de Jean-Pierre Barou), qui résume bien l'essence de la pensée gandhienne en insistant sur son actualité. Très loin de prôner un pacifisme passif (« passifisme ») ou un idéalisme vaporeux, il réhabilite au contraire la puissance et la subtilité de la pensée de Gandhi qui dénonçait aussi bien la violence des forts que la non-violence des faibles et incitait à un vrai courage de chacun contre les injustices de tout instant.
*Ce à quoi je ne peux m'empêcher d'ajouter la grande cohérence de l'heureuse élue à signer en parallèle de la réception de ce Prix les accords de l'ACAA avec Israël, renforçant son partenariat économique avec un État de gouvernement d'extrême-droite allant à l'encontre de toutes les valeurs dites européennes vis à vis des Palestiniens, mais aussi de ses propres concitoyens.

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