L'Institut a été créé grâce à un des associés de Gandhi, Bajaj, un petit
artisan qui a été un des premiers emprisonnés pour avoir suivi
Gandhi ; il est devenu un des pères de la Nation à l'indépendance et a
ensuite développé une activité économique jusqu'à construire un
empire industriel : la marque Bajaj est présente sur des scooters, du matériel
électronique, des banques... Son argent a financé de nombreux ashrams
et projets gandhiens, dont l'Institut où nous sommes. Ce modèle du
capitaliste paternaliste est aussi indien qu'états-unien et permet
en effet à de beaux projets de vivre, mais cette façon d'utiliser
un peu de l'argent issu de la grande société de consommation
industrialiste pour financer des mini-expériences alternatives me
laisse perplexe...
Ici
la journée commence à l'aube à 5h du matin. A 6h, nous assistons à
un spectacle dans le parc à côté de l'institut, entouré de 731
pierres verticales (Philippe les a comptées) gravées de la Bagavad
Gita, texte ancestral hindou. Le parc a une forme de... vache ! Eh
oui on la retrouve vraiment partout celle-ci ! Le spectacle qui a
lieu est en fait une célébration qui réunit des élèves de toute
la région appartenant à des écoles à la pédagogie particulière.
Le fondateur de ces écoles a voulu casser le système des castes
sociales par l'éducation des garçons et des filles selon des
principes gandhiens et avec l'argent – toujours – de Bajaj. C'est
un délice de voir défiler ces gamins et adolescents endimanchés.
Nous
sommes à l'Institut d'études gandhiennes au moment d'un événement
spécial puisque l'Institut fête ses 25 ans avec un colloque
réunissant une petite cinquantaine de personnes autour du thème
“Gandhi et le développement durable”.
Nous
assistons samedi et dimanche à des conférences du colloque. Mais
nous ne sommes pas encore assez habitués à l'accent indien en
anglais ; on compte donc plus sur les photocopies pour s'instruire
posément un peu plus tard. Cependant, globalement, les interventions
sont variées, semblables selon les cas à celles qu'on peut entendre
à un séminaire d'ONG de développement en France ou à un Forum
social mondial : dénonciation du système capitaliste “écocide”,
présentation de projets socio-économiques dans des villages, étude
de cas de villages autonomes, place des femmes dans le
développement... Les intervenants sont des physiciens, des
sociologues, des travailleurs sociaux, parfois éminents, d'autres
plus acteurs de terrain. Classiquement, certains promeuvent l'accès
aux technologies par l'éducation pour un meilleur développement
rural, d'autres remettent en question la notion même de
“développement”, comme concept néo-colonial que Gandhi n'aurait
sans doute pas approuvé.
Tout
le monde ne fait pas référence à Gandhi de la même façon et
certains discours nous laissent même interrogateurs sur la façon
dont Gandhi réagirait en les entendant. M. Jeevan Kumar résume
ainsi les 10 principes gandhiens de développement durable : la
sagesse écologique, la justice sociale, la démocratie
participative, la non-violence (ahimsa), la “durabilité”
(gestion durable des ressources, limitation de la consommation,
système économique équilibré, énergies renouvelables...), le
respect de la diversité et des minorités.
Louis
intervient au nom de Gandhi international sur un discours “d'un
point de vue occidental” mais particulièrement acerbe sur l'impact
de la vision occidentale de l'économie sur la vie, et parfois la
survie, des peuples du monde. Il rapporte les questions de
développement au rapport à soi, aux autres, au cosmos et à Dieu,
en pointant les références de notre civilisation occidentale qui,
depuis la Bible jusqu'à Sartre, nous ont présentés comme des
ennemis les uns ou pour les autres dans un monde de violence.
A
noter aussi l'intervention du Professeur Kheira, éminent
universitaire à Delhi qui a décidé de tout laisser tomber pour
aller vivre avec les Adivasis, peuples de la forêt. Il nous
développe des exemples où de pseudo projets de développement ont
engendré l'expulsion des tribus dans des “zones de
relocalisation”. Ça peut être des projets nationaux et privés
d'installations nucléaires ou des barrages électriques, mais aussi
plus sournoisement des réserves naturelles de tigres qui, sous
prétexte de les protéger, justifient le déplacement des
populations des lieux. Dans les faits, l'autonomie économique de ces
populations gêne les autorités qui font tout pour les
sédentariser, sans tenir compte de leur grande connaissance de la
forêt et de la vie animale qui leur a permis une coexistence
équilibrée avec la flore et la faune depuis des siècles. Ainsi le
dépeuplement des tigres est-il attribué à ces peuples de chasseurs
qui en font un usage alimentaire raisonné, alors que pendant toute
la période coloniale des safaris étaient organisés pour permettre
aux touristes coloniaux de rapporter des trophées de chasse au pays
! Voilà une illustration concrète des situations que dénoncent Ekta
Parishad et les marcheurs de Jan Satyagraha.
Ainsi la notion de
“développement” est-elle de plus en plus chancelante du point de
vue de ses bénéficiaires et acteurs de terrain conscientisés, ici
et là-bas. Mais à d'autres niveaux, elle continue à servir à
grande échelle les intérêts économiques et politiques des états
qui cherchent à contrôler autant leurs ressources naturelles que
leurs populations, et des multinationales qui n'ont comme horizon que
leur profit à court terme ou, sous couvert de développement
“durable”, un petit peu plus long. Tant qu'on n'aura pas défini ce
qu'on veut “développer” au juste, ce mot-valise continuera à
camoufler sous couvert de social, au-delà de projets réellement
pertinents menés par les bénéficiaires eux-mêmes avec des
partenaires désintéressés, des projets démesurés
d'enrichissement des déjà plus riches et de contrôles des plus
démunis.
En soirée, nous assistons à l'office d'un temple bouddhiste japonais ("zen"). Son implantation ici, alors qu'il y a peu de bouddhistes en Inde, notamment ce courant-là, est directement due à la volonté de dialogue inter-religieux que Gandhi encourageait.
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