dimanche 7 octobre 2012

Qu'en penserait Gandhi ?

L'Institut a été créé grâce à un des associés de Gandhi, Bajaj, un petit artisan qui a été un des premiers emprisonnés pour avoir suivi Gandhi ; il est devenu un des pères de la Nation à l'indépendance et a ensuite développé une activité économique jusqu'à construire un empire industriel : la marque Bajaj est présente sur des scooters, du matériel électronique, des banques... Son argent a financé de nombreux ashrams et projets gandhiens, dont l'Institut où nous sommes. Ce modèle du capitaliste paternaliste est aussi indien qu'états-unien et permet en effet à de beaux projets de vivre, mais cette façon d'utiliser un peu de l'argent issu de la grande société de consommation industrialiste pour financer des mini-expériences alternatives me laisse perplexe...
Les Indiens ont une vraie culture du culte de la personnalité, en tous cas les hindous. On peut le voir comme une forme de respect poussé à son comble (les gens touchent le pied de quelqu'un pour lui signifier son grand respect), mais évidemment nous ne pouvons nous empêcher de le voir plus comme une forme d'idolâtrie. Petit à petit, j'apprends à ne pas essayer de comprendre certaines choses et surtout à ne pas les juger. Ça fait seulement une semaine que j'ai mis les pieds ici !

Ici la journée commence à l'aube à 5h du matin. A 6h, nous assistons à un spectacle dans le parc à côté de l'institut, entouré de 731 pierres verticales (Philippe les a comptées) gravées de la Bagavad Gita, texte ancestral hindou. Le parc a une forme de... vache ! Eh oui on la retrouve vraiment partout celle-ci ! Le spectacle qui a lieu est en fait une célébration qui réunit des élèves de toute la région appartenant à des écoles à la pédagogie particulière. Le fondateur de ces écoles a voulu casser le système des castes sociales par l'éducation des garçons et des filles selon des principes gandhiens et avec l'argent – toujours – de Bajaj. C'est un délice de voir défiler ces gamins et adolescents endimanchés.
Nous sommes à l'Institut d'études gandhiennes au moment d'un événement spécial puisque l'Institut fête ses 25 ans avec un colloque réunissant une petite cinquantaine de personnes autour du thème “Gandhi et le développement durable”.
Nous assistons samedi et dimanche à des conférences du colloque. Mais nous ne sommes pas encore assez habitués à l'accent indien en anglais ; on compte donc plus sur les photocopies pour s'instruire posément un peu plus tard. Cependant, globalement, les interventions sont variées, semblables selon les cas à celles qu'on peut entendre à un séminaire d'ONG de développement en France ou à un Forum social mondial : dénonciation du système capitaliste “écocide”, présentation de projets socio-économiques dans des villages, étude de cas de villages autonomes, place des femmes dans le développement... Les intervenants sont des physiciens, des sociologues, des travailleurs sociaux, parfois éminents, d'autres plus acteurs de terrain. Classiquement, certains promeuvent l'accès aux technologies par l'éducation pour un meilleur développement rural, d'autres remettent en question la notion même de “développement”, comme concept néo-colonial que Gandhi n'aurait sans doute pas approuvé.
Tout le monde ne fait pas référence à Gandhi de la même façon et certains discours nous laissent même interrogateurs sur la façon dont Gandhi réagirait en les entendant. M. Jeevan Kumar résume ainsi les 10 principes gandhiens de développement durable : la sagesse écologique, la justice sociale, la démocratie participative, la non-violence (ahimsa), la “durabilité” (gestion durable des ressources, limitation de la consommation, système économique équilibré, énergies renouvelables...), le respect de la diversité et des minorités.
Louis intervient au nom de Gandhi international sur un discours “d'un point de vue occidental” mais particulièrement acerbe sur l'impact de la vision occidentale de l'économie sur la vie, et parfois la survie, des peuples du monde. Il rapporte les questions de développement au rapport à soi, aux autres, au cosmos et à Dieu, en pointant les références de notre civilisation occidentale qui, depuis la Bible jusqu'à Sartre, nous ont présentés comme des ennemis les uns ou pour les autres dans un monde de violence.
A noter aussi l'intervention du Professeur Kheira, éminent universitaire à Delhi qui a décidé de tout laisser tomber pour aller vivre avec les Adivasis, peuples de la forêt. Il nous développe des exemples où de pseudo projets de développement ont engendré l'expulsion des tribus dans des “zones de relocalisation”. Ça peut être des projets nationaux et privés d'installations nucléaires ou des barrages électriques, mais aussi plus sournoisement des réserves naturelles de tigres qui, sous prétexte de les protéger, justifient le déplacement des populations des lieux. Dans les faits, l'autonomie économique de ces populations gêne les autorités qui font tout pour les sédentariser, sans tenir compte de leur grande connaissance de la forêt et de la vie animale qui leur a permis une coexistence équilibrée avec la flore et la faune depuis des siècles. Ainsi le dépeuplement des tigres est-il attribué à ces peuples de chasseurs qui en font un usage alimentaire raisonné, alors que pendant toute la période coloniale des safaris étaient organisés pour permettre aux touristes coloniaux de rapporter des trophées de chasse au pays ! Voilà une illustration concrète des situations que dénoncent Ekta Parishad et les marcheurs de Jan Satyagraha.
Ainsi la notion de “développement” est-elle de plus en plus chancelante du point de vue de ses bénéficiaires et acteurs de terrain conscientisés, ici et là-bas. Mais à d'autres niveaux, elle continue à servir à grande échelle les intérêts économiques et politiques des états qui cherchent à contrôler autant leurs ressources naturelles que leurs populations, et des multinationales qui n'ont comme horizon que leur profit à court terme ou, sous couvert de développement “durable”, un petit peu plus long. Tant qu'on n'aura pas défini ce qu'on veut “développer” au juste, ce mot-valise continuera à camoufler sous couvert de social, au-delà de projets réellement pertinents menés par les bénéficiaires eux-mêmes avec des partenaires désintéressés, des projets démesurés d'enrichissement des déjà plus riches et de contrôles des plus démunis.
En soirée, nous assistons à l'office d'un temple bouddhiste japonais ("zen"). Son implantation ici, alors qu'il y a peu de bouddhistes en Inde, notamment ce courant-là, est directement due à la volonté de dialogue inter-religieux que Gandhi encourageait.

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