Une semaine qui est passée vite, avec
deux nuits dans le train et pas mal de déplacements en tous genres. Mais ça
fait partie du voyage !
Nous arrivons lundi à Mathura, qui ne
se laisse pas facilement décrire. C'est une petite ville en bord de rivière,
faite de ruelles étroites principalement dédiées à des échoppes. Une forme de
souk en somme, agité, vivant, coloré, odorant. Auto- et vélo-rickshaws,
charrettes, motos... vaches. Des temples un peu partout, souvent tout petits.
Notre hôtel donne directement sur le quai de la rivière, avec une terrasse d'où
nous pouvons observer à l'envi le balai des premiers habitants de Mathura...
les singes !
Des singes partout, par dizaines, et pas toujours sympathiques.
Je le constate moi-même quand, alors que je filme leurs allées et venues depuis
la terrasse de l'hôtel, l'un d'entre eux arrive derrière moi et essaye de me
chiper mon sac. Heureusement ce dernier est bien accroché et j'ai avec moi une
barre en fer, arme défensive qu'on nous conseille pour ce type de rencontres.
Ici les singes ont l'habitude de chiper tout ce qui peuvent et certains sont
même dressés par des gamins qui revendent les objets à leurs propriétaires
contre quelques roupies. Il paraît même que certains singes utilisent de
l'argent volé pour « acheter » des objets, comme ils ont dû observer
les humains le faire. Je suppose qu'ils se font rouler sur le prix, ça leur
apprendra !
N'empêche que c'est un spectacle fascinant que de les voir
crapahuter partout, souvent en familles, les petits accrochés sur le ventre ou
le dos de leur mère. Ils montent aux arbres, se balancent aux câbles
électriques, sautent d'un toit à l'autre, rentrent et sortent de partout. Et
comme ils sont sacrés, autant dire que pour eux, c'est la fête ! Philippe
en a vu un faire une mauvaise chute dans l'eau. Ils décortiquent les ordures et
s'épouillent n'importe où. Pas très beaux (ils ont le cul tout rouge), les plus
petits sont quand même trop mignons !
Attention, vous entrez dans
une zone d'écriture à contenu religieux.
Près de Mathura, Vridavan est une
ville garnie de temples, assez grands cette fois, et aux styles très variés
mais valant chacun le coup d’œil de touristes curieux, quel que soit notre
rapport au religieux. Un rickshaw nous fait faire le tour de quelques-uns en
quelques heures, en commençant par les plus anciens et leurs rites
traditionnels, que ce soit ce grand temple sikh blanc sur plusieurs étages ou
cet autre où trône une colonne dorée.
Passage par un temple de Hara
Krishna, assez flippant : les Hara Krishna passent leurs journées à
répéter le nom du Dieu Krishna dans une espèce de torpeur envoûtante. On
reconnaît leurs adeptes hommes au crâne rasé duquel ne subsiste qu'une petite
mèche de cheveux derrière. La présence d'un certain nombre de fidèles blancs y
est assez perturbante étant donné l'étrangeté absolue du lieu par rapport à nos
repères occidentaux. Et surtout, le culte de la personnalité a l'air ici d'y
être assez développé, comme en témoignent ces statues dorées, mais très
ressemblantes, telles des moulages à l'effigie de je ne sais quels gourous.
Un des derniers temples n'a que 7
mois, commandé par un « swami » (saint) pour sa propre gloire (son
portrait sculpté y est omniprésent, toujours de façon élégiaque). Mais surtout
c'est un temple de Disneyland : grand, blanc, avec d'immenses esplanades
carrelées de marbre ; à l'intérieur, des couleurs flashy et des néons sur tous
les tons, sans compter les lustres, variantes étranges des boules à facettes de
discothèque.
A l'extérieur des scènes improbables faites de statues en
plastique peint...
Avec le dernier temple, c'est le
bouquet. Voir rien que de loin cette statue gigantesque de la déesse Durga
assise sur un lion terrifiant suffit amplement à me donner le vertige, je
n'irai pas visiter celui-là. Bref, je vous laisse regarder ma sélection de
photos, ça vaut vraiment le coup d’œil.
Comme vous le constatez, il m'est
difficile de garder un ton neutre face à autant de découvertes désarçonnantes,
l'ironie me chatouille souvent et cela demande un vrai effort de distanciation
que de ne pas porter de jugement esthétique ou moral sur ce que nous voyons.
Par exemple, les Indiens n'ont visiblement pas le sens du matériau noble comme
nous : peu importe que leurs statues soient faites en mauvais plastique
mal peint et absolument pas durable. Leur représentation du temps lui-même est
tellement différente de la nôtre ; comme ils fonctionnent sur un temps
cyclique (cycles des réincarnations) et non linéaire comme nous, la notion de
patrimoine n'a pas de valeur pour eux. Plus largement, leur esthétique n'a rien
à voir avec la nôtre, mais on pourrait en dire autant des chrétiens d'Amérique
latine qui ont développé aussi un goût prononcé pour ce que nous appelons
rococo, bling bling, kitsh ou toc. Selon moi, cela s'explique par le fait que
les populations aux conditions de vie les plus difficiles ont davantage la
notion de l'instant présent (lié à la nécessité de survie quotidienne), d'où le
goût pour tout ce qui apporte un plaisir immédiat à l’œil, peu importe sa
longévité. Alors que nous, qui avons le confort de faire des projets sur un
temps plus long, regardons plus facilement un objet en fonction de sa
perspective historique (dans le passé) ou de l'inaltérabilité de sa beauté (dans
le futur), en oubliant parfois complètement de l'apprécier à l'instant T
(d'ailleurs bien souvent l'objectif de notre appareil photo s'empare de notre
vue avant notre propre œil).
Mais ce qui est sans doute le plus
choquant dans ce que je vois de la religion hindoue, c'est ce manque de
frontières apparentes entre les dieux et les hommes. L'hindouisme est une
religion très ancienne et complexe (d'ailleurs composée de croyances et rites
variés qui n'ont été compilés en tant qu'une seule et même religion que
récemment). Originellement, elle est monothéiste (le Dieu unique appelée
Brahman), mais Dieu est lui-même décliné en une sorte de trinité composée de
trois dieux, Brahma le dieu-créateur, Vishnou et Shiva, plus ou moins adorés
selon les différentes traditions hindoues et parfois sous d'autres noms avec
des attributs différents. Cela donnerait au final 33 millions de dieux !
Chacune de ces divinités a sa biographie, ses anecdotes, ses histoires d'amour
(donc il y a aussi des déesses), ses caractéristiques plus ou moins
contradictoires et fantastiques. Cela ressemble un peu au panthéon des dieux
grecs ou romains (d'ailleurs il y a souvent des correspondances entre les dieux
hindous et les dieux occidentaux antiques) dans lequel viennent « piocher »
les fidèles en fonction de leurs traditions et de leurs besoins. Toutes ces
divinités peuvent avoir elles-mêmes des « avatars », sortes
d'incarnations sur terre sous la forme d'humains (par exemple des prophètes
comme le Bouddha ou Jésus seraient l'incarnation de je ne sais plus lequel de
ces dieux) ou de personnages légendaires. Tout cela serait encore simple si ne
venait pas s'ajouter à cela le rôle des swamis, les saints, vénérés souvent
comme des dieux, après leur mort ou même de leur vivant, et des gourous, qui ne
sont censés être que des maîtres spirituels mais dont les marques de révérence
semblent souvent frôler le culte de la personnalité, voire l'idolâtrie. Cette
frontière floue entre le divin et l'humain est sans doute, à l'image de la
figure de Jésus-Christ, une façon de renvoyer le fidèle à sa propre part de
mystère divin et à ses propres capacités à s'élever spirituellement. Mais cela
entretient aussi des ambiguïtés très inégalitaires entre les hommes qui
expliquent facilement à quel point le système de castes structure la société
indienne. Cela semble aussi engendrer souvent un fatalisme de condition qui
sape la liberté individuelle que ce soit de créer, d'innover en pensée et en
conscience, ou d'agir pour défendre ses droits fondamentaux. Sous réserve de toutes les mauvaises interprétations et compréhensions que je puisse faire avec le peu de connaissances acquises, je peux comprendre
pourquoi des grandes personnalités modernes s'étant intéressées au sort des
plus pauvres, comme Gandhi, Baba Amte ou Rajagopal, se soient plus ou moins
distanciées de leur tradition religieuse, ou en tout cas se soient inspirées
d'autres philosophies complémentaires.
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